Rester une entreprise apprenante dans un contexte économique incertain

Patrick Benammar - VP Learning & Development, Renault Group

Dans un environnement marqué par l’instabilité et l’incertitude, un concept né dans les années 1990 connaît aujourd’hui un regain d’intérêt : l’entreprise apprenante. Théorisé par Peter Senge, professeur au MIT, ce modèle organisationnel prend tout son sens à l’heure où l’adaptabilité s’impose comme une des clés de survie des entreprises. Quels sont les avantages concurrentiels apportés par l’entreprise apprenante ? Comment la mettre la place et comment maintenir une culture de la formation malgré les pressions économiques ? Éléments de réponse avec Patrick Benammar, Learning & Development VP chez Renault et dirigeant de la ReKnow University.

L’entreprise apprenante : une réponse stratégique aux défis actuels

Face à des crises qui se multiplient et gagnent en intensité, les entreprises sont sommées de revoir leur capacité d’adaptation pour tenir le cap dans un monde en ébullition constante. C’est ici que le concept d’entreprise apprenante, esquissé il y a une trentaine d’années, refait surface comme une véritable boussole stratégique. L’idée ? Instaurer une culture où l’apprentissage continu devient le moteur permettant à toute l’organisation d’anticiper les chocs, de pivoter avec agilité et de se réinventer sans cesse.

Ce modèle prend tout son sens aujourd’hui, alors que les entreprises sont secouées tant par des défis internes – course technologique, nouvelles attentes des marchés – que par des secousses externes – tensions géopolitiques, chaînes d’approvisionnement sous pression, ou encore transformations radicales de leur secteur. Dans cette tourmente, la faculté d’apprendre collectivement se transforme en un avantage compétitif crucial.

L’exemple emblématique de Renault Group : l’apprentissage comme ADN

Renault Group illustre parfaitement comment une entreprise peut faire de l’apprentissage un pilier de sa stratégie sur le long terme. « Chez Renault Group, nous avons une culture de l’apprentissage très forte. Depuis 1929, et la création de la première école technique Renault, la culture de la formation ne nous a jamais quittés », souligne Patrick Benammar.

Cette tradition s’est considérablement renforcée face aux bouleversements que connaît l’industrie automobile : transition vers l’électrique, digitalisation, nouveaux usages de la mobilité. « En 2021, nous avons décidé d’aller encore plus loin avec la création de la ReKnow University en France avec pour ambition d’accompagner l’évolution des compétences liées à la mobilité du futur et soutenir de grands projets de développement du véhicule électrique ou de l’économie circulaire », explique Patrick Benammar, qui dirige cette académie désormais déployée à l’international.

Les résultats sont probants : en 2025, plus de 40 000 collaborateurs ont déjà bénéficié des programmes de la ReKnow University, permettant au groupe d’opérer sa transformation tout en maintenant et développant l’expertise de ses équipes.

Le paradoxe de la crise : pourquoi il est vital de continuer à apprendre

Si le concept d’entreprise apprenante a été pensé pour répondre aux crises, son application concrète se heurte souvent à des contraintes économiques et organisationnelles. Paradoxalement, c’est précisément en période d’incertitude économique que le réflexe de nombreuses organisations est de réduire ces dépenses, perçues comme non essentielles. Cette approche, bien que compréhensible à court terme, peut s’avérer contre-productive face aux défis actuels, qui exigent plus que jamais adaptation et montée en compétences.

Défendre les budgets formation : l’art de valoriser l’immatériel

« La valeur ajoutée de l’entreprise apprenante, c’est l’avantage compétitif qu’elle gagne sur son marché. Elle s’approprie des technologies nouvelles pour ne pas être dépendante d’autres, elle valorise les individus et les fidélise, et in fine, le service rendu est meilleur pour le client », affirme Patrick Benammar. Et c’est précisément ce sur quoi il faut réussir à capitaliser pour rester une entreprise apprenante, même en temps de crise !

Car malgré une affirmation qui semble logique, la mise en œuvre concrète est parfois plus complexe et se heurte aux réalités du budget. « Le plus compliqué, est de ‘vendre’ un projet pour la première fois. Pour cela, il faut être capable de faire le lien avec les besoins métiers et proposer des projets qui ont un impact réel sur l’activité et qui méritent d’y investir du temps et de l’argent ». Convaincre sa direction et ses parties prenantes demande ainsi de proposer les indicateurs de performance à suivre, permettant de démontrer que la formation génère, elle aussi, un retour sur investissement mesurable.

À côté de cela, la priorisation devient, elle aussi, indispensable. Chez Renault Group, cette approche est assumée : « nous avons identifié des projets prioritaires sur lesquels nous devons continuer d’investir, malgré les crises. C’est le cas de nos formations sur la data et l’IA que nous renforçons et développons » explique Patrick Benammar.

L’exemplarité comme moteur : quand la direction incarne la culture apprenante

Enfin, le véritable défi de l’entreprise apprenante en période d’incertitude réside, aussi, dans sa capacité à maintenir cette philosophie dans son ADN et à continuer à la déployer à tous les niveaux. Pour Patrick Benammar, il y a trois conditions à cette pérennité : « la réussite de l’entreprise apprenante tient au triptyque entre environnement de travail, rôle du management, et dynamique globale de l’organisation, dont sa capacité à adapter les formations proposées au contexte spécifique de chaque marché et de chaque fonction ».

Dans cette optique, l’exemplarité de la direction et du management a un impact fort. Leur implication personnelle et visible dans la formation envoie un signal puissant. Agnès Rémond, VP Learning chez 7Speaking, suggère d’ailleurs que « les ressources humaines, responsables formation communiquent activement aux managers le soutien à la politique de formation, et le besoin de laisser les apprenants sacraliser du temps pour se former ».

Enfin, l’efficacité des dispositifs de formation et l’engagement des apprenants – et in fine, la réussite du projet – reposent sur leur ancrage dans la réalité opérationnelle. « Pour garder des collaborateurs engagés sur la durée, il est essentiel qu’ils puissent projeter ce qu’ils ont appris en formation dans leur quotidien ou a minima, que cela ait un impact sur les missions qui leur seront confiées », continue Agnès Rémond.

La culture apprenante hors les murs : la formation au service de la marque employeur

Au-delà de son impact interne, maintenir une politique de formation ambitieuse devient un signal de confiance en l’avenir. Dans un marché du travail où les talents sont disputés, cette constance constitue un argument de poids pour attirer les profils les plus recherchés et fidéliser les collaborateurs existants.

L’expérience de ReKnow University, lancée en pleine période de transformation de l’industrie automobile, illustre parfaitement cette dimension. « Notre université d’entreprise nous permet de nous associer à des partenaires externes, académiques comme technologiques. Elle contribue au rayonnement de Renault Group et à l’attraction de talents en mettant un coup de projecteur sur des compétences et des métiers qui ne semblent pas, au premier abord, faire partie de notre cœur d’activité comme la data, l’IA, la cybersécurité ou le développement software », conclut Patrick Benammar.

Cette ouverture vers l’extérieur, maintenue malgré les contraintes économiques, transforme la formation en véritable plateforme d’échanges et d’innovation. Elle crée un écosystème dynamique où circulent idées, compétences et innovations, préparant ainsi l’entreprise à rebondir plus rapidement lorsque la situation économique s’améliore. La formation devient ainsi un instrument de résilience, permettant à l’organisation de traverser les périodes difficiles tout en préservant ses capacités de transformation et d’adaptation pour l’avenir.